
Le Soleil – Figure emblématique du théâtre sénégalais, le comédien Moustapha Diop, dit Tapha, a joué un rôle déterminant dans la valorisation de cet art de la scène. Disparu le dimanche 13 avril 2025, il laisse derrière lui une trajectoire artistique aussi riche qu’inspirante.
Quand Moustapha Diop dit Tapha s’est éteint, le dimanche 13 avril 2025 à Dakar, c’est l’une des plus belles pages du théâtre sénégalais qui s’est refermée avec lui. Artiste talentueux, il emportait aussi les souvenirs d’une époque révolue, celle où les familles se réunissaient dans les foyers, devant la Télévision nationale (Rts), chaque mardi soir, pour ne rien rater des téléfilms devenus cultes.
Tout commence dans les années 1970. Moustapha Diop fait ses premiers pas sur les planches, s’initiant avec passion à l’art dramatique. Très vite, le comédien impose sa présence. À chacune de ses apparitions, que ce soit sur scène ou à travers le petit écran, il capte l’attention et force l’admiration. Sa voix chaude charrie l’émotion, son jeu épuré et son charisme naturel le distinguent. Un style singulier se dessine ainsi peu à peu, annonçant la naissance d’un comédien fascinant.
Théâtre radiophonique à la Rts
Architecte de formation, Moustapha Diop a très tôt nourri une passion pour les arts de la scène. Encore jeune, il fréquentait assidûment la Maison des jeunes et de la culture de Dakar, alors installée près du Mausolée de Seydou Nourou Tall, sur la Corniche Ouest. C’est dans ce haut lieu d’effervescence culturelle de la capitale sénégalaise que sa vocation théâtrale a pris racine.
En 1975, guidé par son frère Cheikh Tidiane Diop, il intègre la mythique troupe « Daaray Kocc », marquant ainsi le début d’une carrière artistique exceptionnelle. « Il rejoint cette troupe que son frère avait lui-même créée pour représenter la région du Cap-Vert (Dakar) à la Semaine nationale de la jeunesse et de la culture. Grâce à son talent, il sera l’une des révélations de cette manifestation culturelle », se souvient Sénégal Ndiaye, son camarade de scène au sein de la troupe « Daaray Kocc ». Par la suite, Moustapha Diop et son frère Cheikh Tidiane sont proposés pour un théâtre radiophonique à la Rts. Une proposition à l’initiative d’El Hadji Abdoulaye Seck, comédien, acteur de renom et fondateur de la troupe théâtrale « Diamonoy Tey ». Celui-ci avait déjà marqué le paysage culturel sénégalais en participant à la création des troupes « Yewou », actives avant les indépendances, et « Daaray Kocc », devenue plus tard un vivier de talents incontournables. Ce sketch radiophonique, porté par Tapha Diop, Cheikh Tidiane Diop et Abou Camara, durait cinq minutes et s’intitulait « Diamanoy Tey ». Selon Sénégal Ndiaye, il abordait des sujets relatifs surtout à la conscience professionnelle pour mieux éduquer les Sénégalais.
Grâce à sa forte personnalité et à son jeu convaincant, Moustapha Diop s’impose progressivement dans le paysage théâtral sénégalais. C’est d’ailleurs cette ascension qui l’avait naturellement mené vers la prestigieuse troupe « Daaray Kocc », laquelle est un véritable creuset du théâtre national, où se retrouvent les figures les plus emblématiques de la scène. À l’époque, cette formation concentre l’élite artistique de notre pays. La crème de ce dont le Sénégal regorge comme grands comédiens.
La troupe « Daaray Kocc » se distingue par des productions d’une grande originalité. Chaque mise en scène, ancrée dans les réalités sociales et culturelles du pays, soulève des thématiques qui résonnent fortement avec le quotidien des Sénégalais. Un réalisme qui ne cesse de séduire.
Moustapha Diop incarne avec brio des rôles, qui contribuent à asseoir davantage sa notoriété. Son jeu d’acteur précis lui permet de s’approprier chaque personnage avec une aisance remarquable. Il impose sa présence sans jamais forcer, captivant le public par la justesse de son interprétation.
Ses premiers films sont un véritable succès, un chef-d’œuvre inscrit dans le temps de l’éternité et qui représente avec une précision chirurgicale la culture sénégalaise, les faits politiques et de société de l’époque. Pour Guissé Pène, dans la pièce « Lapiss », ce drame poignant qui avait bouleversé tout le Sénégal, Moustapha Diop livre une prestation magistrale. À travers son rôle, il interpelle avec puissance sur le regard que porte la société sur les personnes en situation de handicap. « Tapha a été énorme, avec un jeu d’acteur à nul autre pareil. Il a donné une véritable leçon d’humanité à tous ceux qui considèrent un handicapé comme un sous-être », se souvient cet acteur et observateur de la scène culturelle nationale.
Un jeu d’acteur à nul autre pareil
De son point de vue, ce comédien doué a joué et transmis ; il a fait comprendre que la parole persuasive exige de savoir raisonner et argumenter ; elle exige tout autant de savoir incarner un discours tourné vers un auditoire. « L’éloquence, c’est donc celle du verbe, mais aussi celle du corps. Les leçons de Moustapha Diop tenaient d’ailleurs plus d’une démonstration passionnante de son métier de comédien que d’un enseignement de l’éloquence. Ses publics respectifs les maîtrisent bien pour être hypnotisés à chaque mot dans un langage châtié, clair et poignant. L’être humain fait partie de la nature. Lorsqu’il se sert mal de son corps ainsi que de sa parole publique, il abîme en lui la nature », ajoute-t-il.
L’ancien passionnaire de « Daaray Kocc » jouissait d’une envergure artistique à tous les niveaux. C’était un géant du théâtre, une référence à tout point de vue, une figure incontournable de la scène sénégalaise. Aujourd’hui encore, rares sont ceux qui parviennent à incarner, comme lui, avec autant de force et de sincérité cet art.
D’ailleurs, c’est à juste titre que certains le considèrent comme un artiste complet, tant il savait incarner son art avec profondeur, mais aussi passion et précision.
Ibrahima BA
Source : Le Soleil (Sénégal)
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